05/02/2016
Au delà du bleu
"La rouille vient, la rouille monte. Le bleu se rétrécit.
Etre au-dessus de l'eau, regarder par le hublot le bleu qui monte, la mer qui vient à petits pas ronger la coque.
C'est une mer de solitaires, de vieux loups amarrés basse. Les échelles, les coursives sont déployées. Les rires sont à quai. La brume ne vient plus. L'horizon s'éloigne doucement et les téléphones parlent dans toutes les langues.
Une nuit ne suffit plus. L'ancre est amarrée. Ils la surveillent du coin de l'oeil. Ils osent crier gare à celui qui s'approche de la coque rouillée. Attendre que les voiles sèchent, que les mots reviennent. Les matelots sont à quai. Attendent. Quoi.
De l'autre côté de la terre
La côte est loin. La côte se déshabille lentement. Les hommes sont de quart et de travers. Par le hublot, ils regardent le monde qui s'éloigne. Les mots n'ont plus de prise. Les mots s'éloignent aussi. Ceux de leurs femmes, loin, de l'autre coté de la terre. La terre s'éloigne. Les marées.
Les cordes sont distendues, les cordes ne tiennent plus, rongées par le sel, les coraux, la nuit, qui grimpent sur les fils, les morceaux de paille sèche.
Sauter par le hublot. Passer une jambe, un pied. Sauter par-dessus bord, peut-être. A cale sèche, à forêt défendue. Le bateau s'en va, la nuit. Le phare passe, une fois sur deux. L'étang approche. L'étang.
Les hommes attendent.
Presque pas, presque plus
Compter le temps qui se désagrège. Compter les heures, qui filent, compter les mots, les sons, les images.
Reprendre les décors anciens. Compter les absences, les mots de trop, en trop.
Compter les remords, la mémoire sous le vent. Regarder les albatros, les mouettes, les goélands crier au loin.
Compter la nuit, les étoiles. Compter les rides sur les visages des hommes affalés dans les coursives, sur les machines encore en route. Les silences du capitaine. Sa manière de regarder au loin. Presque pas, presque plus.
Rester là, encore. Au-delà des sanglots dans la gorge, des visiteurs de fortune qui descendent sur le quai.
Au loin, la voix lente des au revoir. La houle qui fait son chemin. Un bateau passe.
Ami, te souviens-tu de nos errances. Il faisait froid, il faisait jour et tu ne savais rien ce matin-là. Tu ne savais rien et pourtant je te regardais comme un nouveau jour et les astres avaient fermé leurs portes.
Te souviens-tu, ce matin-là. Comme un enfant, tu me regardais et ce sourire-là valait toutes les peines du monde.
Même la nuit
C'était un grand cirque. Le capitaine me regardait, abattu. Arrête avec ces cordes. On dirait un chien, ce navire. Il part et il revient. Il n'a plus de maître. Regarde-le se rouiller. Envaser sa coque, à petits flots.
Les cordes se tenaient seules, droites et fières, s'enroulaient sur le quai comme des enfants à qui on aurait donné la permission de minuit. Les cordes étaient à sec. Elles tiraient sur le flanc et le flanc ne savait où aller.
Le bateau tanguait et les marins aussi, de trop de mer, de trop d'attente. Et personne pour les appeler, une dernière fois. Demander si la pêche est bonne.
Elle est mauvaise comme l'attente, ils répondraient. Et les requins. Les requins d'Hemingway, ils sont là à attendre eux aussi, ils tirent sur les flancs. Attendent un moment de lassitude. La marée monte. La lune est épaisse dans la soupe tiède. Il faut manger, reprendre des forces. Lire les lettres des femmes, lire leurs mots enchainés à leur île. A quand une autre trêve, un autre rêve.
Les hommes rêvent de poissons volants et de thons géants qui courent sur le pont, brillent comme des diamants, des arêtes pointues qui manquent de les harponner et de les emmener loin, sous le monde des eaux claires et blanches, de les emmener courir sous le bleu de la mer qui les regarde encore malgré le soleil qui frappe dans leurs yeux.
Le bleu les regarde.
Les nasses étaient rentrées maintenant. Toutes les voiles, les méduses. Le bateau à flot. On n'entend plus que l'eau rentrer dans la coque, doucement. Le moteur, la nuit, sans arrêt, comme une sonde qui arrête le temps. On remuait les pieds, les mains, de peur d'être enlisés pendant le sommeil. Les heures défilaient, les poissons, les marées. Le bateau se soulevait imperceptiblement.
Monter, descendre, même la nuit. Jamais s'y habituer. Même à terre, après, sentir la houle, les reflets dans les vitres qui viennent et qui s'en vont. Les cheveux hérissés vers le ciel.
Après, le déluge. Une dernière fois.
Les pieds dans la flotte, jusqu'au cou, jusqu'au fond de l'abîme, s'y noyer, nager sous les eaux sombres et revenir. Revenir vers la surface. Chercher la corde, le bout de fer, l'esprit qui se réchauffe peu à peu et vient mourir, une dernière fois, dans les méandres de la rouille, là où les âmes n'ont pas de remords à renifler à vif la sempiternelle question.
Le déluge est un flux qui vient vous chercher au milieu de la nuit et vous tient enfoncé la tête dans l'eau sans réfléchir. Avaler le temps, remuer les algues au fond des cales noires qui sanglotent. Allumer des bougies au milieu des marées et sortir à demi nu. Sur le quai, chercher la nuit. La sentir approcher, femme nouvelle, qui suit votre trace mouillée.
Etaler ses affaires, ce qu'il en reste. Se frotter les yeux, enlever les derniers coquillages de la crinière hirsute. Effacer tout.
Attendre l'aurore."
(c) SN - Prix du Texte Court, revue SOUFFLES, Montpellier, 2012.
16:41 | Lien permanent | Commentaires (0)
06/01/2016
Un article de la Gazette-Mag pour "La couleur du bonheur"
Un article paru dans le numéro de décembre 2015 de La Gazette de Montpellier - Magazine, paru pour les fêtes de fin d'année et qui présente une sélection ouvrages d'auteurs de la région.
Merci à eux, ça fait plaisir !
22:35 | Lien permanent | Commentaires (0)
17/10/2015
Parution
COMMENT TU RESPIRES
Comment tu respires
sur quel tempo
On devrait demander ça
aux gens
en les rencontrant
Essayer de savoir
en écoutant leurs mots
leurs voix
leurs silences
Comment tu respires
Et le monde
Comment
A deux temps, à trois temps
Une valse, un blues
ça dépend, dis-tu
de la lumière
du temps qu'il fait
de la poussière dans l'oeil
du souvenir qui ne s'évanouit pas.
Paru in, Revue 17secondes, revue de poésie contemporaine, n°7, octobre 2015.
09:57 | Lien permanent | Commentaires (0)
19/09/2015
La Couleur du bonheur présent au salon "Livres en vignes"
09:12 | Lien permanent | Commentaires (0)
03/08/2015
"Les (grands) livres naissent dans la Rhubarbe"
"Cette année, Rhubarbe éditions a publié La femme de craie, d'Eric Poulet-Reney; Dans tout ce blanc, de Malek Alloula, et La couleur du bonheur, nouvelles acidulées de Sabine Normand, qui excelle à dire l'espoir, la volonté d'être heureux malgré tout, et même qui réussit à nous faire rire par moment de tout ce noir qui s'accumule.
Trois (grands) livres hors-normes qui renouent ave l'ambition originelle de Rhubarbe."
Alain Kewes, Rhubarbe éditions.
12:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/06/2015
Parution 'La couleur du bonheur"
La couleur du bonheur (nouvelles)
Rhubarbe éditions, 2015, 150 p. 12 euros.
21:24 | Lien permanent | Commentaires (1)
07/06/2015
La cabane trempée
Du bois vert et bleu, presque rouillé, du bois de volet. Echardé. Poli par le vent et le sel. Volet oublié. Fenêtre barrée en bout de salaison. Cabane oubliée. Quatre bouts de planche croisées. Chat après festin, yeux clos. Chat devant poisson, indécis. Oranger débordant. Feuilles gelées. Soleil trop tard. Salaison bleu nuit qui court vers lʼétang dʼor. Piquets vers le ciel. Filets qui sèchent. Capoujades.
Panneaux de danger en tous genre. Mèffi. Taureaux et véhicules. Iris niché au creux du bois. Mousse sur ciment. Traces de vie. Pinces à linge face à lʼétang. Salon dʼété, salon dʼhiver. Les anguilles sont à vendre. Les chats se lèchent les babines.
Un poisson dʼargent dirige le vent en haut de la tourette.De chaque côté où le regard se pose, lʼeau, les vagues, le ciel qui court. Un chasseur de canards et dʼalligators. Une araignée noire et des fossiles.
Une cabane entourée de roseaux. Un arbre enchevêtré qui sert de frontière. On ne rentre pas, on ne rentre plus. La cabane, trempée dans quoi ? Restes de loupiote autour des fenêtres. Un four avec des yeux qui vous regardent. Quelques chaises. Une boîte aux lettres verte.
2012 (texte paru in "Lire la ville", Mauguio)
19:03 | Lien permanent | Commentaires (0)
03/06/2015
A paraître
"La couleur du bonheur", (recueil de nouvelles) Sabine Normand,
éditions Rhubarbe, 150 p., 12 euros.
19:16 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/04/2015
Poème pour les migrants disparus en Méditerranée
Sous la mer
il y a des poissons
et des Hommes
qui ne regardent plus le ciel
Sous la mer
il y a leurs âmes
perdues près des rochers
et des baleines qui les regardent
avec leurs yeux de marins clos
qui les attendent, pour les emporter dans le vent
Sous la mer, il y a nous
chaque brin d'homme, attrapé par l'espoir
de traverser une rive
d'arriver de l'autre côté du monde
Sous la mer il y a leurs corps
et leurs rêves qui flottent
Il y a leurs mains
qui attrapent les coraux
pour s'en faire des manteaux
Sous la mer ils nagent
pour rejoindre nos vies
pour capturer notre indifférence
et pour que nos prières leur parviennent
Sonar de mots, dans le ciel
et sous le fond des mers.
21 avril 2015
16:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/03/2015
Prochains rendez-vous littéraires
Prochains rendez-vous à retenir :
Jeudi 21 mai 2015, Rodez, Musée Soulatges, lectures de textes poétiques, avec la MTP George Sand de Montpellier.
Vendredi 26 juin 2015, Montpellier, Club de la Treille, lecture de textes.
28 juin 2015, Salon du Livre de Montpellier, Parc de la Guirlande.
18:43 | Lien permanent | Commentaires (0)